"Souffle pour le lendemain"

Vaumarcus 82

 

Doucement, la nuit s'est posée sur le camp. Pendant encore

un petit moment, nous pouvons laisser monter en nous nos attentes

et nos espérances :

"Respirer, un temps pour être."

Mais d'abord : s'arrêter.

Sortir de l'asphyxie, se désengluer.

dégager mon pied,

ouvrir ma main,

quitter, quitter le bruit

le bruit des autres et le mien.

s'arrêter...

mais oui mon coeur : laisse derrière

laisse les autres derrière toi !

tu ne les abandonnes pas.

 

Viens !

on làchera tout

le temps d'une parenthèse.

 

Viens !

on va se faire du bien

on va vivre quelque chose ensemble,

une fraction d'éternité.

 

Viens !

c'est pour toi ces quelques heures

ces quelques heures de bonheur !

Laisse ceux qui te pompent l'air !

Laisse-toi aller, abandonne-toi !

Goûte la saveur des relations

et tremble de les partager !

L'espèce de soif au ventre

et le cri qui te traverse :

ils ont leur place ici-.

 

Maintenant

je sens mon corps tout mou de fatigue

avec des petits coins acidulés et piquants

qui me résistent

le dos qui me fait mal...

les yeux inquiets de mon enfant

le grand-père à l'hôpital...

 

s'arrêter...

cesser de "faire",

ne plus être comme une hélice

ne plus tourner comme une toupie.

déposer.

gagner le silence

et entrer comme sur la pointe des pieds ...

 

Tu veux sortir de l'état de machine ?

tu ne veux plus être comme un objet ?...

Viens !

Fais-toi plaisir un petit coup,

juste deux jours à toi

2 jours avec les autres.

 

Viens !

si nous allions trouver ensemble nos racines

découvrir un peu la terre où nous vivons,

voir que nous sommes peut-être de la même forêt...

 

Viens !

tu peux bien avoir l'âge que tu veux,

l'âge que tu as.

Si tu me faisais découvrir qui tu es.

Tu enlèveras doucement ton masque,

peut-être que tu me montreras le suivant ..

peux-tu être sans les autres ?

 

Viens !

deux jours pour un tout petit bout de voyage,

pour souffler un brin...

 

Tu aimes la course quotidienne,

l'acharnement, la compétition ?

Viens !

2 jours, 2 nuits

c'est si vite passé !

Pour toi, pour moi

je les voudrais comme une fenêtre ouverte,

comme un rayon de soleil qui réchauffe ...

 

Comment tu fais quand tu veux rencontrer quelqu'un ?

c'est pas vrai que tu lui claques la porte au nez,

que tu l'évites du regard,

que tu ignores son nom ...

dis, comment tu fais ?

tu parles du temps ?

tu ne lui dis que le prix des choses ?...

Tu voudrais entendre ta musique !

Oui ! tu rêves de trouver, de savoir qui tu es,

d'être bien dans ta peau :

"respirer, un temps pour être ..."

et puis tu trembles un peu de te découvrir les mains vides,

bien différente de l'image de toi que tu ballades,

et différente encore dans le regard des autres...

avec une part...de trouille devant le vide,

un malaise qui grenouille au ventre...

Viens !

on n'en restera pas là :

Quelqu'un nous attend demain.

Il sait qui tu es.

 

Pourquoi m'as-tu dit : j'en ai le souffle coupé !

je suis indignée, écoeurée, et moi avec toi.

 

Pourquoi me dis-tu : je suis à bout de souffle !

On a bien le droit de l'être (bis)

de tomber comme une masse, de dormir...

 

Oh ! fuir un petit coup pour y voir plus clair,

avec d'autres

dans l'espoir d'un second souffle.

 

Moi aussi je cherche comment vivre ce petit creux,

cet espace, pour qu'il devienne une parenthèse où je respire,

où je vis. Quand le souffle me manque,

quand je m'asphyxie, qui suis-je alors pour toi ?

 

Dis... si tu m'apportais les plumes de l'oiseau pour que je

m'allège et que je vole sans le poids du monde sur mon dos -

je crois bien me rappeler que c'est déjà fait, non ?

 

Dis, quand je m'asphyxie,

quand je perds mon petit air coquin,

quand je me prends au sérieux,

si tu m'aidais à rire,

si tu me faisais rire !

 

Dis... mais tu vois pas qu'on soit là comme des moineaux et des

papillons,

comme l'herbe des champs et les lis qu'on n'y trouve

jamais chez nous.

Y a Quelqu'un qui en a parlé il y a longtemps :

qu'est-ce qu'Il avait dans la tête ?

qu'on respire ? qu'on respire ! qu'on respire un peu !

On pourrait souffler quelques bulles de savon le temps de

s'arrêter...

sans avoir dans la bouche le goût de vacances qui dureraient

toute la vie ...on n'est plus des gamins !

 

2 jours de pause : quelle chance et quel risque !

ouvrir l'oeil ou le fermer ...

 

Non mais...

on n'est quand même pas là pour respirer pour des prunes ..

y a des fois que ça deviendrait étouffant !

C'est quoi, son projet à Lui ?

moi qui viens d'acheter un vase à fleur et un manteau...

oh la la la la

cette légèreté d'oiseau et le provisoire de l'herbe des champs,

tu crois que l'Autre nous les donne

pas seulement pour le plumage

 

et l'accueil facile au vent ?

tu crois ?

tu crois qu'Il a encore une idée ...?

qu'il voit plus loin ?

...tout autrement que les fabricants d'avenir

qui me rongent bras et jambes ...?

tu crois ?

 

Viens ! on va chercher, chercher l'horizon qui se dessine

en dehors de nous. Chercher le sentier et la clairière où

fleurit la liberté, chercher celle qui a le parfum de Dieu,

chercher !

Je me réjouis !

 

J'attends demain

j'attends de rencontrer ce qui pourrait bien être

le rythme de mon souffle

de ma joie

de ma foi.

 

Oui, je me réjouis !

 

Suzanne Schell

septembre 1982.

 

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