Méditatif auprès de la croix

 

Entrer dans le silence,

s'y terrer comme le grain dans le sol

Demeurer muet,

frappés au coeur de l'espérance

Oublier même la promesse

et perdre le sens

Abattu

comme l'arbre dans la tempête

et perdu

parce qu'il n'y a plus de mots

On ne peut dire l'entre-deux,

il est seulement silence en Dieu

 

Claquer des dents devant l'inconnu

Grelotter jusqu'en son âme

Hurler en soi

et n'avoir d'écho que le silence

Toucher le fond de l'abîme

devant l'indicible de la mort

Etre sec de prière

sans Verbe qui relie à l'Autre

Etre vide

sans espace intérieur

et sans voix,

les larmes pour langage,

les yeux sans regard

sur le temps de l'absence et de la stupeur

 

Corps frappé d'absence,

tu n'es à personne

Comme au dernier repas,

tu te donnes

On ne peut plus te suivre

On ne sait plus comment vivre

Même le geste du riche

est défait de sens,

la dignité du pauvre

n'a plus de place

 

Corps embaumé,

gardé de larmes et de force,

l'oeil ne te verra-t-il plus

qu'au travers de la grâce,

marqué de clous et de lance

dans la mémoire de Dieu?

Nos visages refléteront-ils

à peine ton silence?

Nos mains porteront-elles

quelque peu ta souffrance?

 

Homme

dans le bois confondu

Nu

par-delà le souffle et le cri

Ce n'est plus

le temps du raisin,

les sarments sont brûlés,

le cep arraché

Reste-t-il encore du vin

à se partager?

Aller jusque-là

dans l'incertain...

 

Il n'y a plus de face à face

On ne peut contempler la mort

Peut-on seulement

retrouver en soi la Face?

Où chercher le lieu de l'amour?

Où chercher le Disparu?

C'est la fin du temps de l'Incarnation...

 

On dirait qu'il n'y a plus d'hier,

pas même un aujourd'hui

S'ouvrir au temps de l'Esprit

S'avancer en pèlerins aveugles

sur les traces brûlantes de la mémoire

 

Habiter samedi saint

comme le temps du passage

Vivre ce jour-là

comme le possible au coeur de l'impossible

Vivre du dedans

l'acte de Dieu lui-même en nous

et percevoir dans l'absurde

la promesse de Présence,

comme on voit mourir le bourgeon

pour que s'ouvre la fleur,

comme on entend le jour

écarter le voile de la nuit

 

Habiter samedi saint

dans la continuité des actes d'amour

Vivre l'absence

vers l'élargissement d'un temps nouveau

Deviner en tremblant

le Visage de plénitude

Effleurer d'un murmure

le Nom qui est au-dessus de tout nom

et tendre les mains

au poudroiement de lumière,

dans l'ouverture à demain...

 

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